Marcel Dhièvre

Pour moi, l’essentiel est de faire sourire les gens quand ils passent et d’égayer la rue. J’ai commencé, les autres n’ont qu’à faire la même chose.

Paralysé à la main droite

Marcel Dhièvre, dernier d’une famille de cinq enfants, naît le 23 juillet 1898 à Laneuville-au-Pont (Haute-Marne) de parents, ouvriers agricoles. Il souffre dès sa naissance d’une paralysie de sa main droite.
 
D’après divers témoignages recueillis, il semble que Marcel Dhièvre n’ait pas aimé l’école. Son caractère solitaire l’isole beaucoup des autres enfants de son âge et il travaille très tôt comme journalier à la ferme Vallois de Laneuville-au-Pont. Son handicap à la main droite le dispense d’aller au front pendant la Première Guerre mondiale et pendant ces années de conflit, il reste dans son village. Sa paralysie l’a marginalisé très jeune mais il a su faire de son handicap une force.

478, avenue de la République

En 1920, il épouse Justine Croute et il décide d’exercer le métier de charpentier à la SNCF de Saint-Dizier. Il choisit de résider dans cette ville et le 22 février 1922, il achète une maison au 478 avenue de la République. Très vite, son caractère rebelle et solitaire l’oblige à abandonner son emploi à la SNCF. Il ouvre avec l’aide de sa femme un commerce en bonneterie et lingerie à la fois sédentaire, au sein de sa maison et ambulant : ils participent aux marchés des localités proches de la cité bragarde.

« La maison de l’amour »

D’un caractère très renfermé, Marcel Dhièvre a peu d’amis. Ses seules distractions sont la chasse et la pêche. En 1935, il divorce et il se remarie en 1937 avec Constance Colasse qui exerce la profession de couturière et vendeuse au sein du magasin bragard « Le Réveil économique ». Avec elle, il s’installe à Eurville, au 5 rue des Minières et y construit une maison de ses propres mains. Très discrète et attentive aux moindres de ses désirs, sa femme vit dans l’ombre de son mari. Elle admire son œuvre et en retour il lui dédie un grand nombre de ces peintures. Une rencontre importante va marquer à jamais le reste de sa vie. Il fait la connaissance de monsieur Radici un peintre décorateur italien avec qui il se lie d’amitié. Ce dernier lui fait découvrir un nouvel univers qu’il affectionne au plus au point. Dès lors, il se lance dans la décoration de sa nouvelle maison et orne l’entrée de médaillons faits de morceaux d’assiettes. Il entoure son jardin d’un mur de briques creuses qu’il décore de motifs symétriques. Dans un angle du mur, il fait figurer une petite maison qu’il appelle « la maison de l’amour » et qu’il dédie à sa femme. Il commence la décoration de son magasin et la vitrine de son magasin est encadrée de serpents et de débris de faïence.

Il ne se servait que de sa main gauche : ça représentait des milliers d’heures de travail.

Paris, source d'inspiration

Après la Seconde Guerre mondiale, Marcel Dhièvre rouvre son magasin et se spécialisé dans la lingerie fine pour les femmes et les vêtements de travail pour les hommes. Désormais, sa vie va tourner autour de sa passion pour la décoration : « Il m’arrivait de me lever à trois heures du matin pour me mettre au point mes sculptures ou pour donner quelques coups de pinceau ». Un voisin témoigne de son activité : « Tous les matins, on l’entendait, il passait chercher son matériel… Ses pas étaient lourds rythmés et très lents, il était toujours en sabots… ».
 
Ses sources d’inspiration sont multiples mais les voyages hebdomadaires qu’il effectue à Paris pour acheter sa marchandise permettent de penser que cette ville a exercé sur lui une certaine fascination. C’est pourquoi on retrouve sur la façade son magasin la tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe. La victoire de la France en 1918 a aussi été très importante pour lui.
 
Excepté son art, tout lui est indifférent. Il travaille quotidiennement sur son œuvre et par tous les temps. Il refuse le confort de la vie moderne (eau courante, télévision, réfrigérateur …).
 
Il est de plus en plus coupé du monde extérieur : il ne se rend plus aux marchés et refuse tout contact avec le monde extérieur. Il est toutefois aidé par quelques enfants de son voisinage qui l’aide à récolter les matériaux et les débris dans la décharge de la ville (faïence brisée, morceaux de verre…) ou au fond des cours des voyottes.

L'heure de la retraite

Au moment de sa retraite, vers 1960, le travail de décoration sur sa façade est déjà bien avancé. Il s’en explique à un journaliste venu l’interviewer : « L’heure de la retraite a sonné, j’étais un peu désemparé au début alors j’ai commencé à décorer un petit coin, puis l’espace s’est agrandi… J’aime bien bricoler et je n’avais rien à faire autrement. Quand il faisait beau, je me mettais en route quelques fois à trois heures du matin… en somme je travaillais au jour le jour. L’idée était là, elle ne faisait pas de répit, il fallait que j’embellisse mes journées avec ces travaux. Non, je ne suis pas un artiste, j’ajoute un peu de couleur dans la grisaille des jours… »
 
Marcel Dhièvre toujours très renfermé ne souhaite ni transmettre sa passion, ni obtenir de conseil ou d’aide d’autres personnes. Il lui arrivait de façonner des animaux en ciment armé de fil de fer ou de décorer des pots de fleurs en y collant des coquillages ramenés par ses proches, qu’il peignait ensuite. Il utilisait également des plaques pour peindre des tableaux.
 Il n’a jamais vendu ses œuvres mais il lui arrivait parfois d’en offrir une. Quand il donnait un dessin, c’est comme s’il avait donné quelque chose d’une valeur inimaginable pour lui. C’était vraiment un cadeau. Il ne voulait pas qu’on détruise son œuvre.
 
Toutefois, il recherche la reconnaissance et l’avis des gens de passage. Dans les années 1970, il se lie d’amitié avec un couple de décorateurs qui venait lui rendre visite de temps en temps et avec qui il échangeait des œuvres. Ce couple témoigne de son travail.
« Il était très cohérent, il avait une philosophie à lui ; il disait que la peinture était un don qu’il faisait à sa femme… peindre lui faisait du bien. Par ailleurs, c’était un grand sentimental qui faisait la nature dans ses tableaux… il paginait les saisons, le retour du printemps après l’hiver ou le ciel vous tombe sur la tête… Il avait un inépuisable besoin de communiquer, de s’exprimer ».
 
Dans les dernières années de sa vie, la presse, la radio et la télévision s’intéresse à son œuvre.
Un journaliste exalte son travail et son handicap et lui témoigne d’une admiration sans borne. « Le style défie toutes les règles de l’homogénéité. Si le petit Paris n’est pas beau au sens plastique du terme, si l’art qui le caractérise ne répond à aucune école, à aucune règle, c’est de l’art valable parce qu’il est l’expression de l’amour, de la souffrance de sa main droite, voilà qui donne à son œuvre un sens beaucoup plus poignant… »

A l’automne 1977, il travaille encore et toujours sur sa façade et prend froid. Il est retrouvé mort dans sa chambre située au 1er étage le 27 novembre 1977 et il n’aura pas la satisfaction de voir son œuvre, « Le Petit Paris » inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en avril 1984.

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Coordonnées

Au Petit Paris

La maison de Marcel Dhièvre

478, avenue de la République
52100 Saint-Dizier