- Accueil
- Ville & Agglo
- Notre Histoire
- L'Histoire de Saint-Dizier
- Le siège de 1544
Le siège de 1544
Une rivalité de longue date
Le siège de 1544 est l’événement le mieux connu de l’histoire de Saint-Dizier, et fut incontestablement l’un des temps forts de la campagne de 1542-1544, opposant Charles Quint à François Ier.
La rivalité entre l’Empereur et le roi de France remontait très loin, et s’était fait jour à l’occasion de l’élection à la tête de l’empire de 1519 ; François Ier, malgré les nombreux subsides versés aux électeurs, avait été défait par Charles Quint, aidé par les banquiers Fugger, sans doute les plus puissants du temps.
La lutte opposant les deux hommes avait notamment vu la capture de François Ier à la bataille de Pavie (1525), et une alliance entre la France et le Turc destinée à contrer la puissance impériale (1535).
Cependant, suite à l’entrevue d’Aigues-Mortes et à la trêve de Nice, en 1538, les rapports s’étaient détendus antre les deux adversaires, à telle enseigne que François Ier permit à Charles Quint de traverser la France en 1539-1540, pour aller réprimer la révolte de Gand, lui évitant ainsi un long et périlleux voyage par mer.
Pour autant, la rivalité des deux hommes n’avait pas cessé, et l’assassinat de deux ambassadeurs français par le gouverneur impérial du milanais, en juillet 1542, servit de prétexte à la déclaration d’une nouvelle guerre : la trêve, prévue pour dix ans, ne dura donc que quatre ans.
Les forces en présence, les premiers temps de la campagne
Après que François Ier ait réagi en déclarant la guerre à l’empereur le 12 juillet 1542, la campagne à proprement parler s’engage au cours de l’hiver 1542-1543 : les français réussissent à conquérir le Luxembourg, et à maintenir Landrecies, défendue par Lalande et fortifiée par Marini, tous deux futurs acteurs du siège de Saint-Dizier.
En février 1543, Charles Quint conclut avec Henri VIII le traité de Barcelone, dans lequel les deux parties s’engagent à envahir la France simultanément. Il est convenu que chacune des parties aura une armée de 42.000 hommes, les impériaux envahissant la France par la Lorraine, et les anglais passant par Calais. Néanmoins, Charles Quint et Henri VIII peinent à trouver un accord sur le point de ralliement des deux troupes, que le premier veut joindre à Paris.
La campagne s’engage plutôt bien du côté de l’empereur, dont le Généralissime, Ferdinand de Gonzague, vice-roi de Sicile, parvient à prendre Luxembourg le 30 mai, la ville ayant eu à affronter les rigueurs de l’hiver. Dans la foulée, Commercy, puis Ligny-en-Barrois sont prises et, le 4 juillet, Gonzague approche de Saint-Dizier avec une armée comptant pas moins de 26.000 hommes.
Le début du siège
François Ier a confié la remise en état des fortifications de la ville à l’ingénieur italien Marini, qui a mis en chantier plusieurs améliorations, cavalier et bastions notamment. Pour défendre la ville, Eustache de Bimont, dit capitaine Lalande, qui s’est déjà distingué au siège de Landrecies l’année précédente, rejoint le 2 juillet la ville, à la tête de 300 hommes. Il y trouve le commandant de la place, Louis de Bueil, comte de Sancerre, qui a lui aussi participé à l’affaire de Landrecies. Pour défendre Saint-Dizier, ils peuvent compter sur 2000 soldats, 100 gens d’armes du duc D’Orléans, 800 bourgeois et 75 jeunes gens. Pour protéger la ville, on a ouvert les vannes de deux étangs dont les eaux sont venues inonder le nord de la ville, et grossir les douves. Les faubourgs de la Noue et de Gigny ont été incendiés.
L’armée de Gonzague est répartie autour de la ville, le cantonnement espagnol, au sud, étant le plus exposé, sera visé par les canons que Sancerre a fait hisser en haut du clocher de l’église tout au long du siège. Les allemands se trouvent à peu de distance de là, sur l’autre rive de la Marne. Gonzague lui-même campe non loin de là, et l’artillerie se trouve à l’ouest de la ville. Il ordonne à 1000 pionniers de creuser une tranchée par le sud, pour faire baisser le niveau des eaux dans les fossés, et pour permettre la prise de la ville.
Le 12 juillet, le bombardement commence, douze gros canons font feu sur la ville. Le lendemain, à l’arrivée de l’Empereur, ils seront 39 dont le feu durera tout le siège, ne s’interrompant que la nuit. Aux côtés de Charles Quint, 14.000 hommes viennent renforcer les troupes de Gonzague, soit un total approximatif de 40.000 hommes. Ce jour-là, le capitaine Lalande est tué par un boulet de canon alors qu’il prenait un peu de repos entre deux commandements ; pour éviter de démoraliser les défenseurs de Saint-Dizier, sa mort est tenue secrète quelques temps.
L’assaut du 15 juillet
L’empereur a décidé avec Gonzague que l’assaut de Saint-Dizier aura lieu le mardi quinze juillet, afin de laisser le temps nécessaire au comblement du fossé et à la construction de deux embranchements dans la tranchée ; dès le matin, le bombardement reprend. Gonzague, installé dans une tranchée, en surveille le déroulement. A l’arrivée du prince d’Orange, il lui cède sa place, et aussitôt après, celui-ci est touché par un projectile à l’épaule droite, dont il meurt le lendemain. Sa perte est vivement ressentie dans l’armée impériale.
Le lendemain, l’assaut de la ville est prévu à midi ; à neuf heures, l’empereur, Gonzague et les capitaines sont en train de déjeuner, lorsqu’une rumeur les alerte : les espagnols, sans avoir reçu d’ordre, ont commencé l’assaut, sans doute pour prendre de vitesse les allemands, dont ils redoutaient l’adversité au cours du sac de la ville.
Dans la pagaille, bon nombre d’entre eux sont victimes de l’artillerie impériale ; l’assaut commence, mais la brèche par laquelle il aurait dû se faire a été insuffisamment bombardée, et n’est pas praticable. Les assiégés se défendent vigoureusement, malgré le feu continu de l’artillerie ennemie qui brise l’épée de Sancerre et une partie de son armure. Les espagnols qui n’ont pas franchi le fossé sont soumis au feu de deux ouvrages qu’on n’avait pas remarqués, tandis que ceux qui tentent de passer la brèche sont repoussés ; du haut des murs, des femmes et des enfants jettent sur les assaillants des pierres qui et des « feux artificiels » qui font de grands dégâts dans leurs rangs. Les « bisoños » (recrues espagnoles) envoyés en renfort, malgré leur détermination, sont également tenus en échec par la défense, stimulée par deux drapeaux promenés le long du rempart.
Après deux heures de siège, les pertes des espagnols sont énormes, et la brèche n’est toujours pas ouverte. Considérant que les espagnols ont subi assez de pertes, on décide d’envoyer les bavarois de Georges de Ratisbonne, qui se sont illustrés à Landrecies l’année précédente, et passent pour de remarquables combattants ; les assiégés s’inquiètent, et ne pensent pas pouvoir leur résister d’abord, mais les bavarois peinent à franchir le fossé ; un coup de canon tuent six ou sept de ceux qui y sont parvenus, provoquant la débandade des autres ; après trois heures de combat, on rappelle les 600 espagnols qui tenaient encore, en refusant aux troupes du prince d’Orange de monter à leur tour à l’assaut. Les pertes sont considérables, estimées à 800 espagnols et 116 bavarois ; la plupart des blessés meurent dans les jours qui suivent. Un homme, arrêté en sortant de la ville un peu plus tard, rapporte le chiffre de 200 tués chez les assiégés.
Sancerre envoie une dépêche au roi de France, qui ordonne alors une procession et une messe d’action de grâces pour célébrer ce succès. La ville de Saint-Dizier se voit octroyer la devise qui lui est restée Regnum sustinent (ils soutiennt le royaume).
La mort du Prince d’Orange, 14 juillet 1544
Hyeronimo Feruffino au duc de Ferrare.
« Aujourd’hui, à la batterie, le Prince d’Orange a été grièvement blessé à l’épaule droite par le canon de la place. On ne croit pas qu’il en réchappe ; maître Jean-Baptiste Cavani, médecin du seigneur don Francesco, déclare qu’il y a plus de chance de mort que de vie. Le Marquis de Marignan était là, assis sur une chaise. Survient Son Excellence ; elle accepte la chaise du marquis et lui évite le coup qui l’eût atteint s’il fut resté assis. Le prince arrive à son tour ; son Excellence l’invite à s’asseoir, obligée d’aller tantôt ici et tantôt là, sans s’arrêter longtemps au même endroit. Le prince s’assied et sauve ainsi la vie à Son Excellence : car à peine était-il assis que l’ennemi fait feu de ce côté, démasquant soudain une couleuvrine ou demi couleuvrine dont le coup atteint le bon et vertueux prince, sans contredit l’un des personnages les plus considérables de l’armée. Sa Majesté est profondément affectée de ce malheur. »
L'assaut du 15 juillet par Feruffino
Saint-Dizier, 15 juillet 1544.
« Vers l’heure du dîner, Sa Majesté a fait donner l’assaut ; la garnison s’est bravement défendue. Le seigneur don Francesco me dit qu’il y a eu un millier de morts et de blessés ; d’autres, qui étaient présents, ne parlent que de six cents. L’attaque des espagnols a duré plus de deux heures ; celle des allemands, qui l’a suivie, environ une heure. Quelques espagnols et trois enseignes sont montés sur la brèche. Plusieurs croient que s’il y eût eu plus d’ordre dans l’assaut, la ville eût été prise. De l’endroit où j’étais, vers le nord, je pouvais à peine apercevoir les assiégés et entendre leurs cris ; mais mon fils Jean a galopé si près qu’il a pu mieux voir et mieux entendre : leurs cris lui paraissaient pleins de crainte et d’effroi. Le bombardement et l’assaut ont eu lieu du côté du sud. Il n’a été tué aucun homme de marque, sauf, à ce qu’on dit, un capitaine des allemands et son enseigne. »
L'assaut du 15 juillet par Sancerre
Dépêche du Comte de Sancerre à François 1er, de Saint-Dizier, le 15 juillet 1544.
« Sire,
Dieu m’a fait la grâce de repousser aujourd’hui trois assauts des plus furieux qu’on ait vus depuis vingt ans ; ils ont duré de neuf heures du matin à trois heures de l’après-midi sans interruption. L’ennemi a été contraint d’engager sa gendarmerie et a perdu beaucoup de ses plus vaillants hommes. J’ai su par les prisonniers faits à la brèche que la plupart des capitaines et des gentilshommes de la maison de l’empereur ont pris part à l’attaque ; il doit en être tombé un grand nombre, car notre fossé est à moitié rempli de personnages aux armures dorées et aux amples panaches. Ceux des nôtres que l’on a fait sortir pour aller aux nouvelles ont rapporté que les impériaux évaluaient leurs pertes à trois ou quatre mille hommes. Le Prince d’Orange, atteint d’un coup de mousquet à la poitrine et d’un coup d’arquebuse au bras, est dans un état désespéré. Soyez assuré, Sire, que si l’ennemi nous livre un autre assaut, il sera, Dieu aidant, encore mieux reçu, jamais je n’ai vu de soldats d’aussi bonne volonté. »
La guerre d’usure
Après l’échec de l’assaut, le siège de Saint-Dizier ne connaît plus d’action éclatante : les assiégés réparent les fortifications du mieux qu’ils peuvent, le bombardement de la ville s’étant interrompu jusqu’au 18 juillet faute de munitions, tandis que les impériaux édifient de nouveaux ouvrages pour réussir un nouvel assaut. Mais, outre la pluie qui n’a pratiquement cessé de tomber (on s’enfonce dans la boue jusqu'à mi-jambe au campement de Gonzague), la mort ou la fuite des pionniers chargés d’exécuter les travaux de mine et de creusement de la tranchée ne facilite guère les choses.
Par ailleurs, les armées impériales souffrent de la faim depuis le début de la campagne, et cette difficulté s’accentue de jour en jour, provoquant le mécontentement des troupes, dont certaines deviennent presque incontrôlables. Du côté des assiégés, les munitions commencent également à manquer, tout comme les vivres.
Afin de rendre confiance à ses troupes, l’empereur désire une action d’éclat, et décide de prendre la ville mal défendue de Vitry-en-Perthois : celle-ci ne possède pas de canons. Le 23 juillet, 5000 soldats impériaux déferlent sur la ville, qu’ils saccagent avant d’y mettre le feu. Les bannières et oriflammes prises sont promenées devant les remparts de Saint-Dizier dans le but de démoraliser les assiégés. Le 28, Sancerre repousse une offre de reddition, quoique les conditions soient de plus en plus difficiles.
Dans la nuit du 29 au 30, les assiégés tentent une sortie de la ville, et assaillent une des tranchées destinées à la prendre ; ils sont repoussés par Gonzague à coup d’arquebuse. A Paris, François 1er,croyant qu’un nouvel assaut a été repoussé, ordonne une deuxième procession d’actions de grâces. Cependant, la ville est épuisée et, le 3 août, Sancerre envoie au duc de Guise une lettre dans laquelle il lui fait part de l’impossibilité pour Saint-Dizier de tenir plus longtemps, faute de munitions et de vivres. Or, cette lettre est interceptée par les impériaux, qui s’empressent d’en tirer parti.
La capitulation de Saint-Dizier et la fin de la campagne
Le chancelier de l’empereur, Granvelle, possède le chiffre utilisé par Sancerre, et n’a aucun mal à déchiffrer la lettre. Il possède également le sceau du duc de Guise ; une anecdote invérifiable veut qu’il lui ait été transmis par les soins de la duchesse d’Etampes, favorite de François 1er, qui aurait souhaité par ce moyen éviter un succès du Dauphin venant au secours de la ville. Quoiqu’il en soit, le sept août, les assiégés reçoivent une lettre portant le fameux sceau, et les invitant à se rendre dans les meilleures conditions possibles. Le lendemain, les négociations commencent avec Gonzague, et achoppent sur deux points : les assiégés veulent un délai de huit jours avant de rendre la place, et veulent emmener avec eux leurs pièces d’artillerie, ce qui est alors le comble des honneurs de la guerre. LE 10 août, un accord est signé, et le 17 la ville est évacuée, puis occupée par les impériaux. L’empereur loge dans la Grand’rue (au numéro 34 de la rue du Docteur Mougeot, selon une tradition locale).
La campagne de France continue, et les impériaux parviennent jusqu'à Château-Thierry, mais dès le 29 août, les pourparlers de paix commencent, qui aboutiront à la paix de Crépy-en-Laonnois, aux termes de laquelle les impériaux se voient restituer Landrecies, et les français Saint-Dizier. La ville est exemptée de taxes et de taille pendant six ans en reconnaissance de son attitude pendant le siège.
Partager sur :